Tout le monde a déjà eu affaire à une araignée. Une petite bête à huit pattes, courant très vite, tissant des toiles et pouvant se cacher dans un trou deux fois plus petit qu’elle. Pour s’en débarrasser, les plus courageux la prennent par une de ses pattes et la jettent dehors, par la porte ou par la fenêtre. Pour les plus peureux, la semelle d’une chaussure peut aussi bien faire l’affaire. Personnellement, je n’aime faire ni l’un, ni l’autre. Bien que je n’apprécie pas m’approcher de ces bestioles, je ne veux pas pour autant leur donner la mort. Lorsqu’une d’entre elles croise mon chemin, je fais un effort pour la chasser de chez moi, mais le plus souvent, je la laisse partir, et je fais comme si je n’avais rien vu. Sa potentielle présence plus proche de moi que je ne le pense m’inquiète un peu, mais se dissipe rapidement. Ce qui n’est pas le cas pour ma petite sœur. On a neuf ans d’écart, elle et moi, et elle me prend donc souvent pour son deuxième papa. Le problème, c’est qu’elle le fait toujours lorsque je suis occupé. Comme l’autre jour où elle m’a appelé alors que j’étais occupé à envoyer les invitations pour ma fête d’anniversaire.
- Simon ! Viens vite !
J’avais d’abord décidé de l’ignorer, mais rien n’y a fait, elle a insisté.
- SIMON ! Dépêche-toi !
Je soupirai. Je me levai de ma chaise de bureau et me dirigeai vers la chambre de ma sœur.
- Qu’est-ce qu’il y a ? demandai-je d’un ton plus qu’exaspéré.
- Il... Il y a... une... une... ARAIGNÉE !!! me répondit-elle en me montrant du doigt un des murs de sa chambre.
Je grimaçai. Je n’ai pas peur de ce genre de créature, mais j’évite de m’en approcher. J’aurais bien crié après un de mes deux parents, mais je suis sûr qu’ils m’auraient dit de me débrouiller, car ils étaient trop occupés à travailler. Je m’approchai donc de l’endroit où se trouvait ladite araignée et m’apprêtai à l’écraser avec ma pantoufle, lorsque quelque chose me frappa : l’arachnide était coloré d’une manière que je n’avais encore jamais vue jusqu’alors. Elle était en effet rayée avec des bandes de gris cendré et des bandes de gris plus foncé. Je jetai un coup d’œil à mon apparentée et vit son visage déformé par la peur. Comme à son habitude, elle exagérait, mais je m’exécutai tout de même. Une fois cela fait, je la sermonnai :
- La prochaine fois, tu le feras toi-même, Charlyn. Tu as huit ans, tu es grande maintenant !
- Oui, mais... mais tu sais bien que j’ai peur des araignées, moi !
Je roulai les yeux et sortis de sa chambre pour retourner dans la mienne et reprendre mon envoi d’invitation. J’organise en effet une soirée pour fêter mes 17 ans, et cela se passera samedi prochain. Même si ce ne sera pas le véritable jour de célébration, je profite de ce week-end-là, car mes parents seront absents. Ils ont effectivement prévu de passer trois jours juste tous les deux. Je ne leur ai pas dit que je comptais inviter tous mes amis à la maison pour faire la fête. Si ça avait été le cas, ils m’auraient interdit de le faire. Voilà donc la raison de ma petite cachotterie. Mais j’ai tout planifié ; mes parents partent vendredi après leur travail (c’est-à-dire, dans la soirée). Une fois leur départ effectué, je commencerai à installer la décoration qui consistera en quelques banderoles de lumières au-dessus de la terrasse, quelques ballons dans le salon, une table avec diverses petites choses à grignoter et à boire, et bien évidemment, un coin pour le DJ avec des enceintes Bluetooth pour pouvoir danser sur nos musiques préférées. Le samedi, je peaufinerai les derniers petits détails, et le lendemain matin, je rangerai et nettoierai tout avant le retour de mes géniteurs pour que ces derniers ne se rendent compte de rien. En ce qui concerne ma petite sœur, j’ai également prévu le coup ; je lui ai acheté un nouveau DVD Disney qui devrait l’occuper le temps de la soirée, du moins, jusqu’à temps qu’elle s’endorme. J’avais pensé demander à ma tante ou à mes grands-parents de la garder ces jours-là, mais cela aurait pu éveiller les soupçons dont ils n’auraient pas manqué de parler à mes parents.
On pourra compter une trentaine de personnes invitées, dont la plupart sont mes amis d’école et les autres ceux avec qui je joue au basketball. Il y aura aussi Mélissa, une bonne amie. On s’est rencontrés au cours de chimie. Il nous avait été demandé de réaliser une expérience par deux, et le hasard a fait que nous sommes tombés l’un avec l’autre. Nous n’étions pas très proches avant, et nous nous parlions peu. Mais après ce cours où nous avons dû collaborer - et où nous avons bien ri à cause de mon manque d’adresse lors de la manipulation des fluides contenus dans les tubes à essai - nous nous sommes rapprochés, et avec le temps, nous sommes devenus amis. Je l’apprécie vraiment beaucoup, et elle est très importante pour moi. Je pense que je l’aime plus que comme une amie. Et j’ai l’impression que c’est aussi le cas pour elle. Je compte lui en parler samedi lors de la fête.
***
Mes parents se préparaient pour partir. Je commençais à être nerveux. Non pas que je m'inquiétais d’être sans eux, mais j’attendais avec plus qu’impatience qu’ils s’en aillent pour pouvoir tout préparer pour le lendemain.
Après un hâtif au revoir, ils prirent la route, nous laissant seuls, ma sœur et moi. Je ne perdis pas une seconde, et me mis directement au travail. Pendant que je préparais tout, Charlyn monta jouer dans sa chambre.
Je commençai par l’intérieur. Je bougeai tout d’abord quelques meubles, de sorte que je puisse installer la table sur laquelle se trouveront les petites choses à grignoter ainsi que le matériel nécessaire pour la musique. Ensuite, je me dirigeai vers l’extérieur afin d’accrocher la guirlande de lumière que je suspendis au niveau de la porte-fenêtre donnant sur le jardin, ainsi qu’autour des quelques arbres présents. Alors que j’étais en train de m’affairer à cette tâche, je remarquai, entre deux arbres situés dans le côté droit du jardin, une toile d’araignée. Elle était assez grande, épaisse et impeccablement tissée avec une parfaite forme d’arantèle. Même si sa grandeur était plutôt déstabilisante, il n’en était rien comparé à ce qui se trouvait dessus ; une araignée, d’une taille proportionnelle à sa toile, colorée comme l’était celle que j’avais écrasée l’autre jour dans la chambre de ma sœur. Cette pigmentation me sembla toujours aussi étrange et inédite. Au bout de quelques instants, je vis quelque chose d’encore plus curieux ; il y avait sur la bête deux points mauves, que je devinai être ses yeux. Un frisson me parcourut tout le corps. Je pensai à appeler mes parents, mais ils auraient pu décider de rentrer, ce qui aurait provoqué l’annulation de ma fête. J’eus alors l’idée de téléphoner à un professionnel, mais il aurait également pu faire échouer mes plans en procédant à des manipulations d’extraction qui auraient empêché quiconque d’entrer chez moi. Je pris donc la décision de laisser la créature là où elle était. Après tout, elle ne me dérangeait pas vraiment. Je n’étais pas très à l’aise avec la connaissance de son existence, et encore moins avec l’idée qu’un de mes invités puisse y être confronté. Pendant quelques instants, je pensai sérieusement à annuler ma réception, mais je me résignai. Je n’avais pas préparé tout ça pour rien ! Je continuai donc mon installation, essayant de ne plus penser à ce que j’avais vu.
Environ une heure plus tard, j’avais terminé. Je passai donc une soirée tranquille, jusqu’à temps que j’aille dormir, et que je me retrouvai donc seul avec mes pensées. L’image de l’araignée sur sa toile me revint en tête et m’empêcha de m’endormir. Je restai dans mon lit plusieurs heures, tournant, tout comme mes pensées dans mon esprit. N’arrivant toujours pas à trouver le sommeil, je me levai, pris mon téléphone pour activer la lampe de poche, descendis l’escalier, et sortis dans le jardin. Le froid de la nuit et l’humidité de l’herbe me firent frémir. À moins que je ne fusse en train de craindre de revoir l’arachnide... Lorsque je fus arrivé à l’endroit où je l’avais aperçue la première fois, je sentis mes mains trembler et devenir moites. Je levai mon portable, de façon à ce que celui-ci éclaire la zone située entre les deux arbres. Ma respiration s’accéléra. Je ne vis que l’arantèle. L’araignée n’était plus là. Je laissai échapper un soupir de soulagement, qui fut très vite remplacé par une nouvelle accélération de mon inhalation de l’air. Si la créature n’était plus sur sa toile, où était-elle ? Habituellement, cette question m’aurait parue anodine, mais dans le cas présent - et compte tenu de l’importante taille de l’araignée - il n’était pas inopportun de se le demander. J’essayai de me calmer et de reprendre une respiration à peu près normale. Après avoir attendu quelques minutes à l’affût d’un éventuel retour de l’arachnide, je me résolus à retourner à l’intérieur et essayer de trouver enfin le sommeil. Je fis quelques pas, puis m’arrêtai. Je me retournai vers la toile, pris une branche d’arbre qui jonchait le sol, et brisai l’arantèle. Cela n’était pas aussi simple que pour une toile ordinaire, mais je finis tout de même très rapidement. Je laissai tomber la branche, et m’en allai furtivement. Je retournai donc dans ma chambre et m’efforçai de dormir. Je m’assoupis aux environs de deux heures du matin.
Ma nuit fut mouvementée. Je fis d’affreux cauchemars. Tantôt,l’araignée me courait sur le corps ou sur celui de Charlyn, tantôt, j’étais pris au piège sur la toile et l’horrible créature se délectait en me voyant. À chaque fois, je me réveillai en sursaut, trempé de sueur. Évidemment, après une aussi mauvaise nuit, je ne fus pas en très grande forme. Ma première action fût d’aller voir dans le jardin, à l’endroit où se trouvait avant l’araignée. Cette dernière était là, sur sa toile. Je l’avais pourtant détruite. Je tressaillis. Elle avait doublé de taille. En supplément, l’arachnide avait, elle aussi, pris du volume. J’eus envie d’abolir une nouvelle fois l’arantèle, et cette fois-ci, la bête avec, mais je me résignai. Pour la première fois, je me rendis compte que j’avais peur. La voix de ma sœur m’obligea à laisser une nouvelle fois l’araignée là où elle était.
- Qu’est-ce que tu fais, Simon ? Et, c’est quoi toutes ces lumières dehors ?
- Ce ne sont pas tes affaires, Charlyn. Maintenant, laisse-moi finir, d’accord ?
Elle esquissa une moue boudeuse.
- Eh bien, si tu veux pas me le dire, je vais tout raconter à papa et maman !
Je soupirai. Elle est très mignonne ma sœur, mais elle peut aussi être très exaspérante.
- On va passer un marché, tous les deux, ok ?
Son regard devint interrogateur.
- Je t’offre un nouveau DVD et te laisse te coucher tard aujourd’hui, et toi, tu ne dis rien aux parents, d’accord ?
- Hum... Ok !
Je lui souris, satisfait.
J’allai donc achever mes préparatifs, essayant de faire abstraction de la présence de la créature.
Je fus très heureux lorsque mes invités arrivèrent. Premièrement, parce que j’étais content de les voir, et deuxièmement, car cela me permit de me changer les idées et de ne plus penser à ce qui se trouvait dans le jardin.
J’entrepris d’être un hôte poli, et ne manquai pas de servir à boire à tout le monde. Une fois tous mes amis servis, je pus, moi aussi, commencer à profiter de ma fête d’anniversaire. Je dansai un peu, mais passai plus de temps à discuter. Mélissa, elle, passa beaucoup de temps sur la piste de danse. Je profitai donc d’un moment de repos de sa part pour aller lui parler sur la terrasse.
- Super soirée ! me complimenta-t-elle avec son sourire charmant et ses épais cheveux blond clair et ondulés flottant légèrement avec la petite brise.
- Merci beaucoup, la remerciai-je avec sincérité.
Nous discutâmes longuement, mon regard se noyant dans le sien. Le moment était venu pour moi de prendre mon courage à deux mains, et de lui avouer ce que je ressentais pour elle. À l’instant où je m’apprêtai à me lancer, j’entendis Noam (un de mes amis) crier mon nom. D’après le ton de sa voix, je compris qu’il avait un peu trop bu.
- Hé ! Simon ! C’est quoi ce truc, là, derrière les arbres ?
Les trois derniers mots résonnèrent dans ma tête comme le son du clocher de l’église. Derrière les arbres. Ce “truc” comme il disait, était la chose la plus horrible qu’il m’avait été donnée de voir.
La voix de Noam se fit à nouveau entendre, mais cette fois-ci, ce fut un cri qui sortit de la bouche de mon ami. Des pensées horribles traversèrent mon esprit. Je me précipitai vers le fond du jardin. J’eus à peine le temps d’arriver que je vis mon invité s’écrouler. Bien que ce ne fût pas une chose très agréable à voir, ce qui suivit fut encore plus atroce : l’araignée qui avait élu domicile chez moi et qui avait hanté mes cauchemars courait sur Noam, suivie par deux autres de son espèce, mais un peu plus petite. Je me mis à courir aussi, n’ayant aucune envie d’entrer en contact avec elles. J’étais là, sur l’herbe, et j’étais en train d’assister à une scène épouvantable. Ce n’était pas uniquement trois arachnides qui envahissaient mon jardin. Non. C’était une horde de créatures toutes colorées comme la première que j’avais vue. Mes invités se mirent tous à crier. Certains se faisaient engloutir sous toutes ces bêtes. Je regardai Noam ; il était mort. Je détournai les yeux. J’observai ce qui se passait avec abasourdissement. Je vis la foule d’araignées détruire tout ce qui se trouvait sur son passage. Les criaillements fusèrent, et bon nombre d’invités tombèrent, piétinés par les bêtes. J’eus une pensée pour Charlyn. Elle est arachnophobe, et je n’osais pas imaginer sa réaction si jamais elle croisait le chemin d’une de ces créatures. Je devais la sauver. C’est ma petite sœur, et il ne fallait pas que je la laisse dans cette situation. Je commençais à courir vers la maison, lorsque j’entendis un hurlement de terreur provenant du premier étage. Charlyn... Les araignées étaient déjà arrivées jusque dans sa chambre. C’était trop tard... Des larmes me piquèrent les yeux. Je me tournai vers Mélissa qui venait aussi d’échapper un cri de frayeur. Les affreuses bêtes à huit pattes commençaient à lui courir dessus, des pieds jusqu’à la tête. Je poussai également une vocifération. Et tandis que j’entendais les hurlements résonner, tout en étant abandonné à cette vision épouvantable, je me sentis, moi aussi, parcouru d’araignées qui me couraient sur le corps...
Linda Magnetta 5GT2
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