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Aspiré par la foule


*


Lundi matin


Vide. C’est vide pensais-je. Il manque quelque chose à cet endroit. Un tableau peut-être ? Oui. Il faut rajouter une toile, ici. Il faudra que j’en trouve une qui s’accordera avec l’ambiance de la pièce.


Je sortis de mes songes, ouvris la porte, et pris le journal qui avait été déposé, comme chacun matin, sur le perron. Je lus distraitement, jusqu’à ce qu’un article attire mon attention. On y lisait ceci :

« Vente aux enchères, ce mardi, à 8h00.

On nous a malheureusement appris, hier matin, que Jean Delamarche, le célèbre collectionneur d’Art est décédé. La police scientifique pense qu’il s’agit d’un assassinat, ce qui expliquerait la disparition du corps et de toutes traces de notre amateur de tableaux. Par conséquent, une vente aux enchères est organisée ce mardi, à Dinant (en Belgique), aux alentours de 8h00, afin que tous les objets de valeurs que détenait Monsieur Delamarche soient vendus au plus vite, étant donné le fait que ses héritiers ne souhaitent pas les récupérer. »


Mardi matin

Une fois mon costume sur le dos, je sortis, montai dans ma voiture et me mis en route.


Lorsque j’arrivai, je cherchai une place sur le parking, bien que ce-dernier soit rempli. Je trouvai malgré tout un endroit pour me garer. Je descendis de l’engin et suivis la foule vers l’intérieur du hangar, là où devait se dérouler la vente. Tout d’abord, nous regardâmes un peu les objets présents. Aucun ne retint mon attention, excepté un tableau. Il s’intitulait « Aspiré par la foule ». Il était simple d’apparence, mais me procurait une sensation étrange. Une attirance que je n’aurais su définir. J’avais l’impression que mes yeux ne pouvaient se détacher de lui, un peu comme si quelque chose dans la représentation soutenait mon regard. Il me fallait cette toile. Je devais me la procurer, quel qu’en soit le prix. Je vis que je n’étais pas le seul intéressé, au contraire. Bon nombre des acheteurs potentiels présents regardaient, non, admiraient cette représentation. Il s’agissait bel et bien d’une foule, sur une place aurait-on dit. Un marché peut-être ? Ça restait à découvrir. Tout comme le prix auquel l’enchère commencerait.


Quelques minutes plus tard, je me rendis dans la deuxième partie du bâtiment, celle où allait se dérouler la vente. Je m’assis, et attendis le commencement.


Cela ne dura pas longtemps.


L’enchère débuta et moi je restai concentré, prêt à lever ma pancarte en carton portant mon numéro d’identification, celui-ci étant le 177.


Le premier objet présenté fut une espèce de vase ancien, sûrement sans grande valeur. Il fut tout de même vendu à un vieil homme pour 3 900 €. Du gaspillage pensais-je. Bref ! Le reste de la vente se déroula ainsi.


Lorsque le dernier objet fut présenté, je remarquai qu’un peu plus de personnes s’intéressèrent aux dires du commissaire-priseur. Ce-dernier dit ceci :


- Voici maintenant un tableau datant du début du XIXe siècle. Sûrement une des toiles les plus précieuse de la collection de Jean Delamarche. Avant que vous ne commenciez vos offres, je dois vous prévenir d’une chose : une rumeur raconte que ce tableau, signé Eden Carling, a été peint avec de la couleur fabriquée à partir de magie noire. Bien entendu, il ne s’agit que d’une légende, certainement inventée afin d’augmenter la valeur du tableau.


Une légende ? La foule rigola. Quant à moi, je me mis à réfléchir. Est-ce que la mort de l’ancien propriétaire de « Aspiré par la foule » avait quelque chose en rapport avec cette légende ? Bien sûr que non ! C’était idiot de penser cela. La voix du commissaire-priseur me sortis de mes sombres pensées.


- L’enchère débute à 15 000 € ! Qui pour 15 000 € ?

Je dus me battre pour obtenir cette toile que je dus payer 6 000 000 €.

Une fois la vente terminée, je me rendis auprès de la responsable de l’évènement et payai la somptueuse somme que je devais avec l’acquisition seule du tableau. Au moment où je me dirigeai vers la sortie, je fus interpellé par l’adjugeur.


- Monsieur Harold ? Êtes-vous vraiment sûr d’en vouloir ? me demanda-t-il en désignant ce que je tenais dans mes mains. Parce que je ne suis pas à l’aise quant à ce que l’on raconte dessus...


- Ne vous en faites pas, dis-je. Je ne crois pas qu’il puisse m’arriver quelque chose, si ce n’est que je ne devienne obsédé par cette peinture continuai-je avec un léger rire.


Il aquiesça, et moi je m’en allai.


De retour chez moi, j’exposai ma trouvaille dans mon living. Le reste de ma journée se déroula normalement.


Mercredi 2h00


Je me réveillai en sursaut, tout transpirant. Tellement trempé de sueur que je dus changer de pyjama. J’optai pour mon préféré, le bleu clair avec des lignes bleu foncé. J’allai dans la cuisine, et me servis un verre d’eau que je bus devant la peinture que j’avais achetée la veille. Je me concentrai un peu plus sur les détails, chose que je n’avais pas faite au moment de l’achat.


Au bout de quelques minutes, je crus que je devenais fou. J’avais eu la très nette impression de voir un des personnages du tableau bouger. Je rigolai de ma bêtise. « Je suis encore un peu endormi » me dis-je pour me rassurer. Je retournai me coucher une fois que j’eus fini de boire.


Jeudi 7h45


Je me levai, m’habillai, et commençai à préparer mon petit-déjeuner. Je pris un bol de céréales, car je n’avais pas une très grande faim. En mangeant, j’observai la peinture. J’étais vraiment bête d’avoir pensé qu’un personnage inanimé bougeait. Pourtant, je fus une fois de plus pris par cette illusion. Je m’approchai de la toile, et la fixai. Je cherchai parmi la foule lequel des habitants me jouait un tour. Je restai ainsi, légèrement penché, jusqu’à ce que je me résigne à abandonner cette activé pour m’adonner à une autre : la lecture. J’allai donc choisir un livre dans ma bibliothèque et m’installai dans mon fauteuil favori, le mauve prune décoré de quelques arabesques dorées donnant l’impression d’être en or. Je commençai ma lecture.


Arrivé au bout de la première page, je me rendis compte que je ne comprenais rien de ce que je lisais. Je n’étais pas concentré. Je me sentais observé. Je regardai autour de moi, et ne vis qu’une minuscule araignée qui se baladait sur l’accoudoir de mon fauteuil. Je l’écrasai et repris ma lecture en essayant de me convaincre que la peinture n’avait rien avoir avec ça (je ne lui avais accordé aucun regard).


Je stoppai une fois de plus ma lecture lorsque j’eus fini ma troisième page, car je n’avais toujours pas saisi le sens du récit de l’ouvrage que je tenais en main. J’observai à nouveau la pièce, avec cette fois-ci la peinture comprise. J’étais presque sûr que c’était elle qui me faisait me sentir mal à l’aise. Je posai mon bouquin sur la petite table qui était posée à côté de mon siège et me levai bien décidé à mettre un terme à ma rêverie. Je fixai le tableau, plus intensément cette fois, et je revis l’homme bouger. Oui, je savais désormais qu’il s’agissait d’un homme. Il continua à se déplacer dans la toile jusqu’à ce qu’il remarque que je l’observais. Il s’arrêta et son regard croisa le mien. Cela me procura une sensation de malaise, un peu étrange. Je fermai les yeux pendant quelques secondes, et quand je les rouvris, je remarquai que le bonhomme était de retour à sa place « initiale ». Mes mains tremblèrent. Etais-je en train de rêver ou de sombrer dans la folie ? Je décidai d’ignorer la peinture, et retournai donc m’asseoir. Je repris ma lecture et essayai de m’imprégner de l’histoire, en vain. Je relevais sans cesse la tête pour regarder le tableau. J’en eus marre. Il fallait que j’arrête d’être obsédé par cette toile. Mais comment ? Je songeai à m’en débarrasser en la jetant par la fenêtre mais je m’en abstins, vu le prix auquel je l’avais payée. Je me résignai donc à m’installer dans un autre fauteuil (un qui était du plus proche de la peinture) que je pris soin de retourner de façon à me retrouver dos au tableau. Une fois assis, je recommençai à lire.


Enfin un peu plus plongé dans le récit, je sentis un léger poids sur chacune de mes épaules. Je n’y prêtais guerre attention. Quelques instants plus tard, la pression exercée devint plus forte, et j’eus l’impression d’être tiré vers l’arrière. Mon sang se glaça. J’essayai de résister, mais la force avec laquelle, je ne sais qui ou je ne sais quoi, on me tirait, était plus forte. Après quelques instants de débattement, j’eus une sensation bizarre, comme si je passais au travers d’un voile fin. J’étais de plus en plus attiré vers l’arrière. Au bout de quelques minuscules secondes, je me sentis véritablement aspiré...


Extrait d’un article du journal du vendredi


« Vente aux enchères, ce samedi, à 8h00.

On nous apprend encore et malheureusement le décès d’un autre collectionneur d’Art, Ronald Harold. Les résultats sont les mêmes que lors de la mort de Jean Delamarche. Une vente aux enchères va donc avoir lieu ce samedi, afin de vendre tous les objets de valeur que détenait Monsieur Harold [...]. »




Linda Magnetta

*Image d'illustration : "Hsc Tableau Russe, représentant une foule de gens en procession", artiste non identifié, 1889





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