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Dans la cave



Je reçus le papier le 20 février, au matin. Pas de coup de fil, rien. On nous informa d’une manière bien impersonnelle du décès de mes parents. J’aurais voulu pleurer, mais je n’en eus pas la force. Mes parents et moi étions en froid depuis plusieurs années et je dois avouer que leur décès ne changera pas grand chose à ma vie. Si ce n’est un détail sur le papier ; j’hérite de leur maison. J’ai vécu là-bas pendant 23 ans, et j’y suis bien entendu retournée par la suite pour leur rendre visite, mais aujourd’hui, il y a 7 ans que je n’y ai pas remis les pieds. Et je ne m’en porte pas plus mal. C’est pourquoi je compte la vendre. Mais je sais déjà que tout cela va demander de longs temps de latence, et surtout, d’énormes quantités de paperasse. Je poussai un soupir d’exaspération.


-Tout va bien ? me demanda mon mari.

-Oui, oui, répondis-je. C’est juste que je viens d’apprendre que mes parents ne sont plus de ce monde.

-Oh... Je suis désolé, me dit-il en me prenant dans ses bras.

-Non, ce n’est rien. Il y a longtemps qu’on ne se parlait plus de toute façon.


Je sentais son malaise. Je voyais bien qu’il voulait me réconforter, mais qu’il ne savait pas quoi dire.


-Et aussi... J’hérite de leur maison.


Il haussa les sourcils.


-Ah oui ?


J’affirmai d’un signe de tête.


-Ça va prendre beaucoup de temps avant qu’on ne trouve un acheteur.


L’expression de mon cher époux devint interrogatrice.


-Un acheteur ? Tu veux dire que tu veux vendre la maison ?!

-Bien évidemment ! Que veux-tu que j’en fasse ? 

-Eh bien... Je pensais que tu voudrais retourner vivre là-bas... 

-Pas question !

-Pourtant, cette maison est plutôt grande et jolie... Et tu sais qu’on n’aura jamais les moyens de s’offrir ça...


Je baissai la tête. Il y a longtemps qu’Adam et moi voulions acheter une maison, mais nous repoussions sans cesse le moment, faute de ne pas avoir assez d’argent.


-Je ne veux en aucun cas te forcer la main, Ambre, mais dis-toi qu’il s’agit là d’une opportunité que nous n’aurons peut-être plus jamais... 


Je ne pouvais pas lui donner tort... Mais en même temps, je ne me voyais pas vivre dans la maison de mes parents... 


-Écoute, reprit-il, prends le temps de réfléchir à tout ça, et on en parle tout à l’heure, d’accord ?


J’acquiesçai. Mon mari me sourit et déposa un baiser sur mon front avant de partir travailler. Je me retrouvai donc seule avec mes pensées. Même s’il est vrai que je n’avais pas la moindre envie d’habiter dans la maison de mes géniteurs, je ne pouvais pas nier qu’une opportunité d’avoir un cadre de vie meilleur n’était pas négligeable.


***

Adam et moi soupâmes en silence. Je fus la première à briser la glace.


-Tu sais... J’ai repensé à notre discussion de ce matin et je me suis dit qu’avant de se décider, nous pourrions visiter la maison et voir si elle nous plaît ou non. 

-C’est là une très bonne idée. 


Nous échangeâmes un sourire.


***


J’obtins les clés de la maison le 4 mars. Dès l’après-midi, Adam et moi partîmes la visiter.


J’entrai la clé dans la serrure, la main tremblante. Une fois entrée, une odeur de nostalgie pénétra dans mes narines et en l’espace de quelques secondes, je revis d’innombrables souvenirs de mon enfance passée ici. Je me sentais étrangement bien et un sentiment de sécurité retrouvée m’envahit au fur et à mesure que nous effectuâmes la visite. Mon enthousiasme, lui, ne faisait que croître.


-Rien n’a changé, dis-je avec un grand sourire. Oh ! Regarde, les photos ! Et les petits bibelots ! Oh, et ça aussi...


Je continuai de m’extasier de tout ce que je voyais pendant qu’Adam me gratifiait d’un sourire et d’un regard amusé.


Nous fîmes le tour de toutes les pièces, et même du grenier et de la cave. Quand nous sortîmes de cette-dernière, une anecdote me revint en tête.


-Tu sais, quand j’étais petite, j’avais très peur d’aller à la cave, car je pensais qu’il y avait un monstre qui s’y cachait. 


Mon mari rit.


-Et tu pensais aussi qu’il y avait des monstres sous ton lit ou dans ton placard ? me demanda-t-il en riant pour me taquiner.


Je lui fis une petite tape gentille sur l’épaule.


-Arrête de te moquer de moi, dis-je en riant à mon tour.


Nous terminâmes notre visite, et rentrâmes dans notre petit appartement.


-Tu sais quoi ? dis-je. Je pense que nous devrions aller vivre dans la maison de mes parents. Je m’y sens beaucoup mieux qu’ici.


***

Nous emménageâmes le 3 juin. Un bonheur incomparable m’emplit. Je savais que ma vie allait désormais être meilleure et que tout allait s’améliorer. Peut-être envisagerions-nous même d’avoir des enfants... 


Nous rangeâmes les cartons dans les pièces respectives, et nous fûmes heureux lorsque nous eûmes terminé.


-Je suis exténuée ! dis-je en m’affalant dans le fauteuil.

-Et moi donc ! renchérit Adam dans un bâillement. 


Il s’installa à mes côtés avant de lâcher un soupir d’exaspération.


-Qu’est-ce qu’il y a ? demandai-je.

-On en a oublié un, répondit-il en désignant un carton qui jonchait le sol du hall d’entrée.

-Laisse, je vais aller le ranger moi-même.


Je me levai donc pour prendre le carton sur lequel il était inscrit “cave”, et descendit pour le mettre à sa place.


Les marches grincèrent au fur et à mesure que je descendais. Je peinais à trouver l’interrupteur du bas (il y a en effet un interrupteur qu’il faut allumer dans la cage d’escalier avant de descendre, et un second au bas de l’escalier qui permet d’éclairer la cave), mais une fois que je l’eus trouvé et que la lumière se fut allumée, je déposai la boîte près des autres descendues un peu plus tôt. Je restai debout quelques instants sans bouger en repensant à la petite fille que j’étais avant et pour qui descendre ici comme je venais de la faire aurait été un exploit. J’exprimai un petit rire, pensant au ridicule que c’était d’avoir pensé qu’un monstre logeait dans cette cave froide et humide. J’éteignis la lumière et posai mon pied droit sur la première marche. C’est là que j’entendis un bruit sourd, comme si on avait renversé une pile de boîtes en carton. Je fis immédiatement volte-face et rallumai la lumière. Je balayai la pièce du regard, mais ne vis rien d’anormal. Je soupirai. J’étais fatigante. Je ne suis plus une petite fille ! Je ne dois pas avoir peur d’une cave ! 

Je remontai et retrouvai Adam.


-Ça va ? me demanda-t-il avec son habituel sourire

-Oui, répondis-je avec un sourire également.


***


Je me réveillai aux aurores. C’est un bruit étrange qui m’a sorti du sommeil. Je tournai le regard vers mon mari qui dormait encore. Il n’avait probablement rien entendu. Mais moi, si. Le son ressemblait bizarrement à celui que j’avais entendu la veille lorsque j’étais allée à la cave ; le bruit d’une pile de cartons que l’on reverse. Je décidai d’aller voir. Je descendis sur la pointe des pieds pour être la plus silencieuse possible pour ne pas réveiller Adam, mais je ne pus rien contre les grincements des marches. Lorsque je fus arrivée au bas de l’escalier, j’allumai la lumière, mais n’avançai pas. À ce moment-là, j’eus l’impression d’être redevenue une petite fille. Une petite fille peureuse qui craignait la présence d’un monstre dans la cave. 


“Allons, Ambre ! Tu es une adulte, et puis, les monstres, ça n’existe pas !” me dis-je.


J’avais raison, après tout. Je pris donc mon courage à deux mains et avançai dans la pièce lugubre. J’avais froid, d’autant plus que je n’étais vêtue que de mon pyjama. J’inspectai la pièce, mais sans surprise, je ne rencontrai rien qui fût déconcertant. J’avais seulement été victime d’une illusion ou d’un songe duquel je n’étais pas encore tout à fait extirpée. J’allais remonter, lorsque le bruit se fit à nouveau entendre. Là, je commençai à trembler et m’inquiéter. Je regardai la pièce d’un œil frémissant. Un instant, je crus qu'une des caisses avait bougé, mais j’essayais de me convaincre que ce n’était pas possible. Prise d’une angoisse grandissante, je m’empressai de remonter. Arrivée en haut de l’escalier, je vis Adam qui, apparemment, me cherchait. 


-Est-ce que tout va bien ? m’interrogea-t-il, l’air inquiet. 

-Oui, oui ! répondis-je rapidement.

-Qu’est-ce que tu faisais à la cave à cette heure-ci ? 

-Oh, euh... Il fallait que... que j’aille vérifier quelque chose... 

-Ah... Et est-ce qu’il y a un problème ?


Je jetai un regard par-dessus mon épaule, en direction de la cave, et attendis quelques secondes avant de répondre.

-Ce n’est rien, dis-je, ne t’en fais pas.


J’essayais d’avoir l’air convaincante, mais je ne me convainquais pas moi-même. Mon mari ne demanda aucune explication supplémentaire, et je m’en réjouis ; il m’aurait sans doute prise pour une folle si je lui avais dit que j’avais entendu des bruits bizarres provenant de notre sous-sol et que je soupçonnais un monstre d’en être l’auteur... En effet, je commençais à demander si... Non, non, non ! C’est complètement absurde ! Les monstres n’existent pas ! C’est juste un délire d’enfant ! 


***


J’évitai de descendre à la cave durant les jours suivants. Rien que le fait de passer à côté de la porte me donnait des frissons et me faisait penser aux histoires auxquelles je croyais quand j’étais une enfant ; si je descendais à la cave, je me ferais dévorer par un monstre, si je passais trop près de la porte, je me ferais aspirer par la chose qui se trouverait juste derrière, si je parvenais à éliminer la bête du sous-sol, ses frères monstres qui se cachent sous le lit et dans la garde-robe me bouloteraient sans scrupules... 

Seulement, un jour, je fus bien obligée d’aller à la cave ; il fallait que je prenne un bocal de carottes, car je n’en avais plus dans la cuisine. Je respirai donc profondément et descendis doucement. Arrivée au sous-sol, je pris mon bocal, et fis abstraction du bruit que j’entendis - de nouveau, une pile de cartons qui se renverse. Seulement, je ne pus m'empêcher de prêter attention au son qui suivit ; un long sifflement aigu qui m’appelait : 


-Aaaammmbre... 


Je me figeai sur place et déglutis difficilement.


-Qui... Qui est là ?!


Je me trouvais idiote. Personne n’était là. Je m’imaginais des choses. J’allais remonter lorsque le sifflement retentit une seconde fois.


-Aaaammmbre...


Je haletais. La tournure des événements me déplaisait fortement. 


-Qui êtes-vous ?! Et qu’est-ce que vous faites chez moi ?!

-Aaaammmbre... Reste avec moi, ne me laisse pas seul... 


Je sentais mes jambes se dérober tandis que la sueur perlait dans mon dos. 

-Mais enfin ! criai-je. Qui êtes-vous ?! Et qu’est-ce que vous faites ici ?! demandai-je à nouveau.

-Je suis là... me répondit la voix. J’ai toujours été là... 


J’entendis un râle très rauque et entrevis une ombre furtive se déplacer à une vitesse pratiquement inhumaine. Je tournai vivement la tête pour essayer de voir à nouveau la silhouette, mais je vis uniquement les boîtes en carton que celle-ci venait de renverser. J’eus la très désagréable impression d’être redevenue une petite fille qui avait une imagination un peu trop débordante. J’aperçus de nouveau le galbe difforme. Il laissait derrière lui une odeur nauséabonde et un souffle d’air chaud et humide qui me donnait paradoxalement froid dans le dos. Cette chose passait d’un coin à l’autre de la pièce si rapidement que je ne parvenais pas à identifier clairement ce à quoi elle ressemblait. 

Je poussai un nouveau hurlement lorsque je sentis une espèce de main m’agripper la cheville droite, ce qui me fit lâcher le bocal de carottes dans un bruit d’éclat de verre assourdissant. Je me dégageai et repris l’escalier, montant les marches à toute vitesse. Quand je fus en haut, je fermai la porte avec vigueur, tournai la clé, et appuyai mon dos sur la porte pour être sûre que le passage soit bloqué. Je repris progressivement mes esprits, hors d’haleine. Il me fallut plusieurs secondes pour me rendre compte qu’Adam était juste devant moi, et qu’il avait l’air affolé.


-Qu’est-ce qui s’est passé, Ambre ? Je t’ai entendue crier et j’ai aussi entendu du verre se briser... Tout va bien ? Tu trembles... 


Je regardais mes mains ; c’est vrai que je tremblais. Dans une situation pareille, c’était compréhensible. J’essayai de me calmer, en vain. 


-Ambre... 

-Ce n’est rien ! le coupai-je. J’ai juste vu une grosse araignée, et j’ai réagi exagérément, mentis-je.

-Tu veux que j’aille voir ? me demanda-t-il.

-NON ! répondis-je. Surtout pas ! 


Il haussa un sourcil.


-C’est... C’est juste que j’ai écrasé l’araignée et que ça a fait des taches dégoutantes sur le sol et qu’il faut que je les nettoie.


J’esquissai un sourire, mais je devinai qu’il n’était pas convaincant étant donné l’expression toujours aussi inquiète de mon mari. Je contournai ce-dernier pour me rendre dans la cuisine, et par la même occasion, détourner la conversation.


-Je vais préparer le souper ! (qui sera, par la force des choses, servi sans carottes). Je meurs de faim, pas toi ?


Je pris la décision de m’occuper du monstre de la cave quand Adam dormirait. Je ne voulais en effet pas l’impliquer dans cette histoire croquignolesque.


Tout le reste de la soirée, je ne pipai mot. 


***


Je m’assurai que mon mari était bien endormi, puis sortis de la chambre à pas de loup. Je pris un couteau dans un tiroir de la cuisine et un balai dans le placard prévu à cet effet, puis me dirigeai en direction du sous-sol. Je m’arrêtai un instant devant la porte et pensai à la petite fille que j’étais autrefois. Si j’avais encore été de cet âge-là, je me serais enfuie en courant pour me cacher sous ma couette dans mon lit. Mais je n’étais plus une enfant. Je ne pouvais pas fuir. Il y avait un monstre, ici, chez moi, dans ma cave, et je ne pouvais pas le laisser là. Je devais agir. Je pris donc une grande inspiration, déverrouillai la porte, allumai la lumière de la cage d’escalier et descendis les marches lentement. Très lentement. Chaque grincement résonnait en moi et j’avais l’impression que chacun d’eux me criait “Non, Ambre ! N’y va pas !”. Je faillis me raviser à plusieurs reprises, mais je tins bon et finis par arriver au bas de l’escalier. Je cherchai à tâtons l’interrupteur. Quand la pièce s’éclaira, j’appelai : 


-Montrez-vous ! Qui ou quoi que vous soyez ! Je n’ai pas peur des monstres ! 


Mes mains étaient moites et je sentais le couteau et le balai qui en glissaient. Je les serrai donc un peu plus fort. Je retins ma respiration lorsque j’entendis le sifflement prononcer mon prénom.


-Aaaammmbre... 


J’avançai précautionneusement vers l’endroit d’où provenait cet “appel”. Dans le fond de la pièce, je vis les yeux du monstre. Ils étaient noirs et globuleux, et ornaient une tête (s’il convint d’appeler ça une tête) cabossée et couverte de quelques cheveux fins pareils à de la paille. Je m’approchai doucement en essayant de respirer le plus calmement possible. Après tout, les monstres n’existaient pas. J’étais juste en plein effroi devant mes propres affabulations.

Tout en progressant avec lenteur, je me préparai à l’assaillir. Seulement, j’eus à peine le temps de lever mon couteau que - comme dans les pires craintes que j’avais quand j’étais encore une petite fille - le monstre se jeta sûr moi et me dévora. 





Linda Magnetta 5GT2




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